Abstract :
« Sommes-nous le résultat présent de notre histoire causale ou bien sommes-nous, en réalité, cette histoire causale elle-même ? »
Pour le sens commun, tout au moins en occident, la réalité est entièrement comprise dans l’instant présent. Cette réalité présente étant la conséquence de causes passées qui ne sont donc plus et la cause possible ou déterministe de conséquences qui ne sont pas encore.
En particulier, « être » c’est être dans un instant présent sans épaisseur temporelle : le Moi d’il y a une seconde n’existe plus.
Dans les lignes qui suivent, nous montrerons que cette vérité s’attache à notre représentation du réel et non à la réalité elle-même.
Nous montrerons qu’une autre représentation de la réalité est possible, bien plus satisfaisante pour le philosophe comme pour le scientifique.
Nous montrerons à quel point ce nouveau modèle de réalité élargit et bouleverse notre représentation du Moi, aussi bien le Moi physique que le Moi qui pense; celui du Cogito.
Développement
Khaos, Kosmos, Logos
Notre représentation de l'univers est basée sur la conviction qu'à tout instant existe une réalité de l'univers: "maintenant et partout" en perpétuel devenir, poussée par le flux inexorable du temps.
Nous sommes aujourd'hui encore convaincus que cette vérité préexiste, dans cette forme, à la représentation que nous en faisons, que la terre tournait autour du soleil avant que l'Homme n'apparaisse pour décrire ce mouvement.
Nous sommes convaincus que notre conscience en observant l'univers ne fait que comprendre et nommer cette réalité qui existe "en vérité".
Cette conviction est aussi solidement ancrée dans le « sens commun » occidental qu’elle est peu justifiée par la raison.
Rappelons tout d'abord que " l'observation précède le sens".
Cette remarque d'apparence triviale est pourtant d'une portée extrêmement générale. On pourrait aussi la désigner comme principe de la relativité du sens.
Son expression nous rappelle que, s'il existe une réalité absolue de l'univers, qui serait sensiblement la même si nous n'étions pas là à l'observer, rien de ce qui désigne ou qualifie cette réalité ne préexiste à l'observation qui en est faîte et n'a de validité en dehors de la relation de l'observateur à son univers.
La célèbre phrase de Protagoras « De toute chose l’homme est la mesure » ne dit pas autre chose, comme l’explique Platon. Aucune qualité de l’Etre n’est à priori. Tout vient à être (tout prend forme) par la rencontre des déterminants (la réalité) et du déterminé (l’observateur)
La relativité du sens inclut non seulement les notions de couleur, position, durée, longueur mais également des notions beaucoup plus fondamentales telles que l’Un, l’Etre, l'objet, l'espace et le temps eux mêmes.
Nous ne savons pas exclure les partis-pris sémantiques qu'implique l'observation pour statuer sur la "Réalité" des objets et des mouvements observés.
Il nous faut pourtant faire le postulat qu’il y a une réalité (que nous nommerons la « Réalité ») qui n’est pas la pensée et qui interagit avec la pensée. En d’autres termes, que la Réalité n’est pas seulement l’image que nous en faisons.
Ce postulat est indémontrable. Il ne préjuge en rien de la forme de cette Réalité ni même de ce que la réalité ait une forme. La forme est de la Représentation, de la pensée. Nous ignorons si en deçà de la forme représentée il existe une forme en Réalité.
Nous nommerons Khaos cette Réalité possiblement informelle et Kosmos la représentation formelle que nous en faisons. Nous nommerons Logos le processus qui attribue du sens au Khaos et dont résulte le Kosmos.
Le Logos n’est pas un processus mental, sa nature est mathématique, transcendante. Il est un flux relationnel entre une partie du réel (l’observé) et une autre partie du réel (l’observation) dont les propriétés d’auto-organisation génèrent le sens.
La représentation par le biais du Logos n’a donc rien de subjectif. Pour autant, les propriétés d’auto organisation du Logos imposent des structures dans la représentation et donc dans les propriétés du Kosmos telles qu’elles nous apparaissent.
Notons que le Logos n’est pas une loi de l’univers (telle que la gravité) et que ses propriétés ne sont pas physiques mais mathématiques.
Dans notre représentation du réel par exemple: nous ne savons dire, lorsque nous apparait Un Etre, quelle part de ses attributs résulte d’une propriété « en réalité » du Khaos et quelle part résulte des propriétés d’auto/organisation du Logos.
Soyons convaincus par contre du caractère relatif de toute représentation.
L’Un, l’Etre
Pour Aristote "l'Un et l'Etre sont identiques, ce sont deux désignations d'une même réalité naturelle". Seul peut Etre "quelque chose" que l'on puisse désigner en le distinguant du reste de l'univers. "Il n'y a aucune différence à dire "c'Est Un homme" ou "c'est Un être qui Est Homme" ou "Il Est homme""
L'Etre c'est ce qui décrit l'Un, à la fois le fait d'être, la substance et les attributs de la substance. Ceci est et en même temps ceci est quelque chose. C'est cette chose et pas une autre chose.
Sur la base de ces définitions, il ne semble en effet pas possible en observant l'univers d'isoler l'Un sans, dans le même temps, désigner l'Etre. Il ne semble pas possible d'isoler l'Un autrement que par ce qu'il Est ou ce qu'il n'Est pas. Même dans une multitude d'objets semblables il faudra trouver une différence dans les Etre pour distinguer les Un.
Bien que notre esprit peine à l’admettre, l’Un et l’Etre représentent une seule et même réalité. Penser que les qualités de l’Etre lui sont « attachées » est une erreur, les qualités sont à la fois l’Un et l’Etre. Il n’advient pas à l’Un/Etre d’avoir des qualités, ces qualités sont l’Un/Etre.
Cette géniale intuition d’Aristote que l’on pourrait désigner par « consubstantialité de l’Etre et de ses attributs » proposait, 24 siècles à l’avance, une interprétation simple à nombre de formalismes quantiques.
A la lumière du paragraphe précédent ce principe s’interprète fort simplement: L’Un, l’Etre, les attributs de l’Etre mentionnés par Aristote sont des éléments de sens, une représentation du Kosmos et non pas la réalité elle-même. Leur « substance commune » est la partie du Khaos en relation avec l’observation et dont ces éléments de représentation naîtront au travers du Logos. L’Unité de l’Etre n’est pas une réalité « a priori » du Khaos mais résulte du regroupement sémantique opéré par le Logos. Les attributs de l’Etre ne sont pas une réalité « a priori » du Khaos mais résultent de la création du sens opérée par le Logos.
Les qualités du réel
Nous pensons communément que nos sens nous permettent de reconnaître les qualités de l'univers qui nous entoure et donc le représenter. Par exemple: la vue permet de reconnaitre les couleurs.
Il s'agit là d'un pur contresens : La vue a créé la couleur.
La couleur, en tant que "classe de qualité" n'appartient pas à la réalité physique. Dans le spectre des rayonnements électromagnétiques, le rouge n’est pas « en réalité » une couleur visible et l’infra rouge n’est pas « en réalité » invisible.
La couleur en tant que "classe de qualité" est avant tout une propriété de la conscience et du processus d'établissement du sens.
La seule vérité de la classe de qualité « couleurs » et des couleurs elles mêmes est l’efficacité du processus à déterminer des comportements adéquats.
La relativité de l’Etre….
Ayant illustré la « consubstantialité de l’Etre et de ses attributs » revenons à Protagoras tel qu’expliqué par Platon.
Protagoras disait « De toute chose l’Homme est la mesure » montrant par là qu’aucune qualité n’est portée en réalité par l’Etre, qu’aucune qualité n’est en soi mais que toute qualité nait de la rencontre entre une « potentialité de qualité» qui nous provient de l’Etre observé et la conscience de celui qui l’observe.
Ainsi, lorsque nous désignons cette pierre blanche, nous savons aujourd’hui qu’aucune couleur n’existe en réalité. Que la couleur «classe de qualité», tout autant que la couleur blanche de cette pierre ne sont que des éléments de représentation, créés à partir d’un ensemble de propriétés du réel et au travers d’un processus d’observation. Nous savons que ce que nous appelons couleur de la lumière est une fréquence ou une énergie, que le spectre visible l’est en référence à l’Homme (et différemment pour chacun) et qu’il suffit que je me déplace relativement au sujet pour en changer la couleur.
Ce que n’ont énoncé ni Protagoras, ni Platon, ni Aristote c’est que si « aucune qualité n’est en soi » et si « L’être et ses attributs sont consubstantiels » alors aucun Etre n’est en soi. Dans la réalité, l’Etre n’est au mieux qu’une potentialité de qualités et d’Unité qui ne prendront ce sens dans une représentation donnée, qu’au travers du Logos qui opère les regroupements sémantiques en créant le sens.
L’Etre, au même titre que les attributs dont il est consubstantiel, résulte de la rencontre de l’observé et de l’observant. L’Etre est représentation, l’Etre est relatif, non pas seulement dans ses qualités (attributs) mais dans son étance même.
Un seul Etre vous manque….
Cette conclusion ouvre une brèche de profondeur infinie dans la réalité car elle est itérative ! En effet, si toute qualité n’est que conséquence, alors les causes même de cette conséquence ne peuvent être définies que comme conséquences d’autres causes etc.….
Si tout Un/Etre n’est que représentation ce ne saurait être la représentation de quelque chose qui serait Un/Etre en réalité.
Ce que nous avons appelé une potentialité de qualités dans le réel ne saurait être considéré comme les qualités « réelles » d’«êtres réels».
Regardant vers l’aval, la représentation du Un/Etre ne saurait être « quelque chose » qui serait Un/Etre.
Ainsi nous faut-il considérer l’Un/Etre non plus comme une réalité transcendante, comme l’élément ontologique premier, mais comme la représentation d’une réalité étendue à l’infini amont de ses causes. La représentation elle-même n’ayant d’existence que par l’infini aval de ses conséquences.
Ces conclusions, qui semblent bouleverser notre vision du réel sont en fait conformes à notre expérience quotidienne:
En effet, avons-nous jamais eu accès direct aux qualités ou à l’état d’un Etre ? Pouvons-nous dire de quoi que ce soit « ceci est Un en réalité » ? Connaissons-nous de la réalité autre chose que ses conséquences ? Comment saurions-nous qu’un Etre existe s’il n’avait de conséquence ? Pouvons-nous affirmer que « Etre » soit autre chose que « avoir des causes et des conséquences » ?
Vertigineuse perspective sur la réalité
La disparition de l’Etre en tant que réalité nous amène à proposer un nouveau modèle de réalité:
Selon ce modèle, le partage de sens serait la seule réalité ontologique, celle dont toute autre réalité serait constituée.
La Réalité serait un chaos informel de partage de sens entre éléments sémantiques.
L’élément sémantique n’étant lui-même qu’une structure particulière de partage de sens résultant de la propriété mathématique des chaos de s’auto-organiser en « attracteurs ».
Le sens ne doit pas être considéré comme un attribut de l’élément sémantique. Le contenu sémantique de l’élément sémantique n’a d’autre réalité que l’infini amont de ses causes* et son existence sémantique ne devient réelle que par l’infini aval de ses conséquences*.
* Causes, conséquences et lien causal ne sont rien d’autre que des éléments sémantiques. L’irréversibilité du lien causal résulte du processus d’auto organisation des chaos.
Le lecteur pourra trouver plus de détails sur ce modèle dans mon livre « L’Univers n’a pas la forme » ainsi qu’une analyse du profond impact d’un tel modèle sur les sciences, sur les théories physiques et leur interprétation.
Et moi et moi…
Concentrons-nous sur la réinterprétation selon ce modèle, du Moi et dans un premier temps du « Moi qui pense », le Moi du Cogito.
La base :
Le Moi qui pense se représente comme Un, inclus dans un instant de pensée présent et sans épaisseur temporelle.
Le Moi qui pense n’est pas seulement Un, il est aussi quelque chose : son contenu sémantique est complexe.
Le Moi qui pense représente son propre contenu sémantique comme la conséquence présente de causes passées, qu’elles soient endogènes (le fil de la pensée, le Moi qui rêve) ou exogènes (les sensations).
Tel qu’il se représente à lui-même, le Moi qui pense est donc bien Un/Etre.
2 remarques préalables :
Il est remarquable que le Moi qui pense, alors qu’objectivement il « contient » la représentation de l’Univers, ignore cette évidence au profit d’une conjecture: celle d’un Univers réel qui serait « conforme » à sa représentation. Au passage le Moi qui pense efface le processus même qui conduit de la Réalité à sa représentation.
Or, aucun de nos sens ne procure une représentation conforme, à aucun moment de la chaîne causale qui relie la réalité à son observation l’effet n’est « conforme » à la cause. Le rebouclage des signaux au long de cette chaîne n’y change rien. La seule « vérité » de notre représentation est son efficacité à nous perpétuer. Nous croyons accéder à la réalité absolue des formes du réel alors que nous ne disposons que d’une vérité relative.
Cette remarque en amène une seconde: il est impossible de déterminer une « frontière » entre le Moi qui pense et le Moi physique. Nous ne savons dire à quel moment l’état du moi physique devient pensée, le signal devient sens, ni à quel moment la pensée devient acte.
A elle seule cette remarque nous indique que nous sommes constitués d’une seule et même réalité, corps et pensée ne sont pas deux réalités d’essences différentes. Il faut admettre la « consubstantialité de la matière et du sens». Non pas réduire le sens à une « qualité de la matière » ni idéaliser la matière, mais admettre que matière et pensée sont « issus » d’une même réalité ontologique.
La réinterprétation :
Selon notre nouveau modèle, le Moi qui pense ne serait plus en réalité cet Un/Etre que nous venons de décrire mais une représentation.
La réalité causale de ma pensée remonte à l’infini, à l’origine de la vie et avant même ! La réalité causale de la chimie, de la biologie, de la topologie mêmes de mon cerveau, ce qu’on peut nommer les valeurs implicites sont la réalité de ma pensée. De même la réalité causale de ma culture, de mes apprentissages, de mes souvenirs, ce qu’on peut appeler les valeurs explicites, sont la réalité de ma pensée.
C’est la propriété du Logos, en tant qu’opérateur du regroupement sémantique de masquer l’extraordinaire profondeur de ce champ causal en y créant les éléments sémantiques qui m’apparaîtront comme la réalité physique de mon cerveau et son état présent, comme les éléments sémantiques dont la combinaison ultime constitue la représentation que j’ai de ce « Moi qui pense » comme une Unité dans le présent, qui se détermine elle même suivant le temps de ma pensée.
L’unité du moi qui pense n’est que représentation. La réalité de la pensée est un front extraordinairement complexe d’éléments sémantiques qui se déterminent eux-mêmes et se transforment mais qui, par l’interaction permanente de leurs devenirs, construisent une vision unitaire. Vision unitaire à la fois du moi qui pense et de la réalité comme un tout.
La dynamique de la pensée
Vouloir associer l’instant de pensée à l’état physique du cerveau, vouloir considérer la pensée comme une qualité de la matière, vouloir considérer le changement de l’état physique du cerveau comme la cause du changement dans la pensée est voué à l’échec.
Nous constatons chaque jour que la pensée n’existe que de façon dynamique, qu’elle n’existe qu’associée à son propre changement : Je ne puis empêcher mes idées de changer. Même lorsque je suis endormi ma pensée change. Je ne décide même pas de penser. La pensée sans changement n’est rien.
Pour atteindre la réalité de la pensée il faut comprendre qu’elle ne s’écrit pas sur un support présent. Le présent est une représentation. La pensée dans sa réalité n’est ni dans un lieu ni dans un instant. La pensée n’a d’autre réalité que l’infini amont de ses causes et d’autre existence que ses propres conséquences. Voilà pourquoi la pensée est changement.
Notons que l’expérience est la même pour le vivant en général: l’Etre vivant n’est pas un objet physique auquel il advient de changer, le vivant sans changement c’est la mort.
Notre nouveau modèle de réalité propose une explication simple de cette dynamique intrinsèque de la pensée :
Le « moi qui pense », comme tout être sémantique n’a d’existence que par ses conséquences qui, elles mêmes, n’ont d’existence que par leur conséquences etc. La dynamique de la pensée n’est donc pas un accident, une propriété de la chose physique qu’est le cerveau. Elle est dans le principe même de l’agglomération et du partage du sens. Mon état de conscience n’a d’existence en représentation que par l’état de conscience qu’il détermine.
La pensée est comme le sens d’un livre: son essence ne peut-être atteinte que s’il est parcouru. Le sens d’un livre est le partage entre l’auteur (la cause) et le lecteur (la conséquence).
Le changement n’est pas contingent pour la pensée. C’est une erreur de croire que le temps, plus fort que ma volonté, impose à ma pensée de changer. De croire que ce changement proviendrait de réactions chimiques et électriques régies par un temps irréversible.
La pensée n’est pas matière ni même un attribut de la matière. La matière (en tant que forme du réel) est représentation. Pensée et matière participent d’une seule et même réalité : le partage du sens. La dynamique de la pensée est causale et non physique, la réalité des réactions qui contribuent à la pensée est partage de sens, les lois qui gouvernent ces réactions et le temps irréversible ne sont que des attributs de représentation résultant des propriétés du Logos.
La géniale intuition bergsonienne
Bergson distinguait la conscience (et plus généralement le vivant) de la matière inanimée en cela que la première est « durée » alors que l’état présent de la matière n’est que la simple conséquence de son état immédiatement antérieur.
La conscience présente est pour Bergson l’accumulation de sa propre création en un flux continu. Et c’est ce flux cumulatif qui donne au temps de la conscience le caractère irréversible, continu et créatif de la durée alors que le temps de la matière inanimée serait en lui même aussi réversible et divisible que l’espace.
Ainsi Bergson avait déjà constaté la dynamique essentielle de la pensée et du vivant et compris que le temps irréversible était lié au processus même de création de la conscience, cause de cette dynamique.
Bergson avait pour objectif de « donner sens » aux théories de la relativité et de la physique quantique, elles-mêmes fondées sur la réalité du cadre d’espace temps. Il n’a pas su s’affranchir complètement de ce cadre. Dommage car les « 2 temps » de Bergson masquent la pertinence de son intuition.
Lorsque Bergson écrivit ces lignes, les concepts de physique statistique qui auraient permis de les étayer scientifiquement n’étaient pas disponibles. Il fut génial trop tôt !
L’unité de la pensée et de l’Etre vivant
Le Moi du Cogito se pense Un. Il semble évident que la dynamique de la pensée ne s’applique pas « en bloc » à ce Un constitué. Chaque élément sémantique de la pensée a sa propre dynamique. L’apparition des attracteurs qui vont opérer les regroupements sémantiques résulte de cette dynamique.
La pensée serait donc mieux décrite comme un ensemble complexe de « devenirs » unis par leurs interactions.
De même, l’Etre vivant ne doit pas être considéré comme un assemblage de cellules auquel il adviendrait de changer. L’être vivant est bien mieux représenté comme un entrelacs de milliards de devenirs dont l’interaction chaotique est l’unité. Comparable à de fins polymères qui constituent des fibres qui, filées constituent des fils qui, torsadés constituent des torons qui, torsadés à nouveau constituent un solide cordage.
Notons que si notre corps contient dix mille milliards de nos cellules il contient aussi cent mille milliards de micro organismes qui n’ont pas notre génome et dont pourtant le devenir constitue notre devenir.
L’instant de pensée est un artefact
Le Moi qui pense se représente à lui-même comme Un bien que complexe, inclus dans un instant présent sans épaisseur temporelle.
Comment ne pas voir la contradiction totale entre ces propositions ? Comment quoi que ce soit pourrait il être à la fois Réel, Un, Complexe et dans l’instant présent.
Nous savons que les phénomènes neurobiologiques qui supportent la conscience sont étendus dans l’espace du cerveau (et donc dans le temps). Nous savons qu'il serait insensé de croire que l'état physique (objectif) du cerveau à un instant donné puisse être mis en relation avec un état vécu (subjectif) de notre conscience au même instant. Par quel extraordinaire principe de connectivité le cerveau pourrait-il fusionner de façon instantanée ces milliards de connections en un sens global ?
Il nous faut admettre que l’instant présent de la pensée n’est que la représentation d’une réalité étendue dans le temps.
Il en est de même de l’instant d’Univers, par exemple: notre conscience se représente le son d'une sirène comme une succession continue d'instants sans durée auxquels elle associe une note. Pourtant, le son n'a de sens que si l'on considère le phénomène physique qui le supporte en moyenne sur une certaine durée. L’instant présent n’est pas une réalité mais une représentation.
Conclusion
Des lignes qui précèdent nous concluons que la pensée, le sens ne sont pas d’une autre réalité que leur objet ni que leur processus. La représentation que j’ai de l’objet observé n’est pas « en réalité » d’une autre nature que l’objet lui-même ni que la chaîne causale qui les relie, ni même que le support physique de cette chaîne.
Ma pensée n’a d’autre réalité que le champ chaotique et infini de ses causes. C’est par le fait d’une propriété mathématique du Logos que s’agrège et se structure ce chaos en éléments sémantiques.
L’objet observé est la forme, l’élément sémantique qui prend sens dans ma représentation par agrégation d’une partie de ce champ causal. La représentation de cet Un/Etre n’aura d’autre existence que par ses conséquences.
Le Logos efface ce processus pour ne laisser à l’asymptote que l’image du Moi qui pense, Un, inclus dans le moi physique, dans l’instant présent et dans un Kosmos centré sur lui même.
La représentation que j’ai de la Réalité n’est pas une illusion. La Réalité n’a pas une autre forme. La Réalité n’a pas de forme. Le Logos lui donne forme. Notons cependant que cette forme représentée est par essence relative.
Puisque l’Etre est représentation, notre Etre n’a d’autre réalité que le champ chaotique et infini de ses causes. Notre réalité s’étend à l’infini de la réalité. Seule l’image que nous avons de nous est enfermée en nous.
Voici qui impose de redéfinir la notion d’individualité. En effet si mon Etre est en réalité le champ infini de ses causes, nombre de ces causes seront communes à d’autres Etres. Je partage donc pour l’essentiel ma réalité avec les autres Etres de l’Univers. Mon individualité ne résulte pas d’une réalité individuelle à priori mais de l’unicité du parcours de convergence sémantique qui donne naissance à la représentation que j’ai de moi.
Notons que la pensée transcende l’être, que l’interaction causale entre des êtres distincts (des fourmis par exemple) participe à la construction du sens et d’une pensée unitaire. La culture est pensée au même titre que ma pensée.
Le Moi Introspectif, refermé sur lui-même, qui tenterait de masquer à la conscience les pestilences de l’inconscient; cette idée mortifère qui conduit à l’égoïsme et à la peur de soi même est une extrapolation infondée. Les profondeurs de notre inconscient ne conduisent pas à un cloaque ténébreux mais à la lumière de notre histoire commune.
Ainsi comprise, la pensée ne nous délivre pas de notre contingence. Nous ne voyons pas la réalité « du dehors ». La pensée n’est pas autre chose que de la réalité.
Les réactions que détermine mon système immunitaire à une attaque virale représentent la réalité selon la même logique causale qui constitue ma représentation de l’Univers.
Nous ne sommes pas, par notre pensée, sortis du jardin de la Création, notre seule faute est de le croire !
Dans ce cas il s’agit du sens que la conscience attribue au monde physique