Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

pub-penseur vertBLOGL'UNIVERS N'A PAS LA FORME

pour une Ontologie du sens

28 novembre 2018 3 28 /11 /novembre /2018 15:58
Ferdinand de Saussure

 

Objectif

Les relations entre la pensée et le réel sont étudiées dans bien des domaines de la philosophie et des sciences. Citons l’ontologie et la métaphysique en général, la linguistique, les neurosciences et même les mathématiques.
Chacun a ses postulats, son langage, ses méthodes et ses contraintes propres. Il serait néanmoins déraisonnable qu’ils s’ignorent.

Dans les pages qui suivent nous tenterons d’identifier des zones de proximité entre les idées émises par les philosophes contemporains du langage et celles émises principalement par l’Ontologie des Connaissances (voir ci-dessous) mais aussi par les mathématiques et les neurosciences.

Nous tenterons pour cela de tirer avantage de la clarté et de la parfaite structuration du cours « La philosophie contemporaine du langage » donné par le Pr Denis Vernant (voir ci-dessous) et dont on retrouve le contenu dans le livre en ref.1. Nous reprendrons ce cours, à la fois pour les idées présentées et comme démarche de référence.

L’objectif étant bien entendu de faire émerger, par cette bienveillante confrontation, de nouvelles idées au bénéfice de la connaissance en général.

 

Introduction à la philosophie contemporaine du langage.
            Le contenu du cours rédigé par le Pr Denis Vernant (Univ. Pierre Mendes-France- Grenoble II) est repris dans le livre en ref.1.
L’objectif est très clairement exposé dans le préambule, aussi contentons-nous ici de le reproduire.

            « L’objectif de ce cours est d’initier l’étudiant à un aspect fondamental de la pensée contemporaine : la réflexion sur le langage et la signification. La question centrale du sens est successivement étudiée sous ses aspects syntaxiques, sémantiques et pragmatiques en faisant appel à tous les champs contemporains du savoir en la matière : logique, linguistique, sémiologie, philosophie du langage. »

            Après un bref retour sur les origines grecques de la question, le Pr Vernant nous offre, dans un texte d’une clarté absolue, un panorama complet et structuré des réflexions depuis l’aube du 20ème siècle.

 

Ref 1:   Introduction à la philosophie contemporaine du langage

            Pr Denis Vernant.

            A. Colin 2010

 

L’Ontologie des Connaissances (OdC).

       

L’Ontologie des Connaissances est une théorie ontologique.
Elle a déjà fait l’objet d’un livre et de dizaines d’articles.
Il n’est pas envisageable d’en donner ici, ni une description, ni une justification détaillées. Nous nous contenterons donc des éléments clé, pour autant qu’ils soient utiles à la démarche de l’article.

L'article "Un monde sans état" présente une introduction à l'Ontologie des Connaissances.
L'article "De l'homme à la matière et retour" décrit la position métaphysique nouvelle que l'OdC attribue à l'homme dans son univers.

Eléments clé de l’OdC:

▪ Un jugement méta-ontologique :

---Le Cogito se prouve lui-même. Il ne prouve rien de plus qu’un simple « je »

▪ Deux postulats :        

---Il y a quelque chose d’autre que ce « je » (la Réalité)

---Il y a interdépendance entre le « je » et ce « quelque chose d’autre »

 

▪ De ces 3 prémisses l’OdC déduit les grands principes suivants :

-Au moins l’interdépendance est une réalité, ce peut être le seul élément ontologique nécessaire.

-La Réalité est un système d’interdépendances

-La Réalité n’est pas soumise à la forme.
-Si l'on distingue* d'une part "la Réalité" et d'autre part "sa représentation "; il n'y a pas d'êtres dans la Réalité mais seulement dans sa représentation.
* distinction purement euristique comme le montrent les lignes qui suivent.

-La réalité se connait (elle se représente elle-même)

-La connaissance n’est pas d’une autre réalité que la Réalité. Pour autant l’OdC n’est pas une forme de matérialisme.

Lire l'article "La substance, l'esprit, la pensée" pour développer ce point.

-Une Connaissance est un parcours (foisonnant, immobile) des liens d’interdépendances qui relient la pensée (le « je » comme point de vue) à la Réalité

-La forme nait des principes mathématiques qui règlent ce parcours. Lire l'article "L'émergence du Un" pour plus de détails.

-Toute connaissance est relative au point de vue

-N’étant pas soumise à la forme, la Réalité n’est pas soumise au changement.

-Une Connaissance ne peut prendre sens en elle-même, seule peut lui donner sens une Connaissance plus vaste et qui la comprenne. Une Connaissance ne peut donc « exister » que par et dans son extension.
-Ce principe, c’est l’Anima, cause du temps subjectif, du devenir vécu par le sujet connaissant, qui anime la représentation, la pensée.

-Ce principe impose également une différence essentielle entre « ce qui comprend » et « ce qui est compris ». Cette relation orientée munit la représentation d’un principe d’ordre, d’une flèche qui permettra d’y ordonner des espaces.
-Le sens d’une Connaissance réside dans les lois de probabilité qui relient cette Connaissance à ses possibles extensions (à ses futures expériences).
-Pour le sujet connaissant le sens de sa représentation est limité par un horizon logique aux contours indéfinis, limite où tout lui semble « nommé ». Sur cet horizon il « représente » son Univers.
-L’Univers est donc ce que comprends le sujet, le sens de sa connaissance.
Sur la relation de l'esprit au monde, on pourra lire l'article "Le principe d'objectivation - hypothèse du monde réel"
-La Réalité est infondée, il n’y a pas d’élément premier, pas de substance première, tout peut toujours être infiniment détaillé. Toute Connaissance.est infiniment décomposable.

-L’être vivant ne change rien au réel qui est immuable mais il peut changer la façon dont sa Connaissance s’étend.

-L’Unité du sujet connaissant résulte d’un principe d’agglomération du sens proche du principe d’individuation décrit par G Simondon. Ce principe peut être nommé le Logos.

 

Développement :

 

Ferdinand de Saussure postulait (ref 1) « qu’il ne peut y avoir de pensée sans langage» et que « Abstraction faite de son expression par des mots, notre pensée n’est qu’une masse amorphe et indistincte(…) prise en elle-même la pensée est comme une nébuleuse où rien n’est nécessairement délimité... »

Par ce postulat, de Saussure refusait à la pensée toute prévalence sur le langage. Il montrait aussi qu’il ne peut y avoir de pensée sans langage.

Le mot n’était pas selon lui une simple étiquette arbitraire attachée à un concept mais participait, à minima, à la structuration de la pensée en entités interdépendantes.

De ce postulat découle l’importance, pour la pensée, du langage, des mots et des signes dont il nous faut préciser la nature.

Il s’en suit également qu’il ne peut y avoir de pensée sans les formes.


Voici donc un point d’intersection entre philosophie du langage et ontologie : si pensée et langage sont indissociables, la représentation du réel (l’ontologie) et la constitution du langage peuvent-elles s’éclairer/justifier/approfondir l’une l’autre ?


Commençons par les stoïciens qui proposaient une définition tripartite du signe selon la figure ci-dessous appliquée au signe sonore.

 

 

Note: L'article "Deleuze-Logique du sens" montre à quel point le principe même de l'OdC coïncide avec les doctrines platonicienne et Stoïciennes de l'être et du devenir, telles qu'interprétées par Deleuze dans son livre (ed. de minuit).

Cette trinité {objet en référence, sens, son} bien qu’elle puisse sembler naturelle, se heurta bien vite aux interrogations ontologiques sur la nature de l’objet en référence et sa relation au concept.

Comment en effet, l’objet en vis-à-vis pourrait-il être considéré comme référent si nous ne savons rien de sa forme, de son essence, de sa substance ?
Considérant cette ignorance, la référence du sens à l’objet en vis-à-vis ne pourrait être qu’une auto référence.

La rupture de longue date du lien entre l’objet et le sens fut consommée par Kant à la publication de sa « Critique de la raison pure ».

De Saussure décida, pour ce qui concerne la linguistique au moins, d’exclure le référent de son modèle. Le signe n’est plus alors quelque chose qui vaut pour quelque chose d’autre, il n’unit plus une chose et un nom mais un concept et une image acoustique (selon l’image ci dessous)

 

 

 

L’image acoustique n’est pas ici le phénomène physique mais l’empreinte psychique du son ; ce qui fait du signe une unité purement psychique unissant deux pôles, deux éléments : signifiant et signifié.

Bien que spécifique au langage sonore, ce schéma vaut pour les couleurs, les formes, les odeurs etc…

Une première suggestion de l’OdC serait de focaliser notre attention sur cette partie de la pensée et du langage qui représente le monde. Ne peut-on dire alors que les empreintes psychiques du son, de la forme, de la couleur, du toucher etc…  ne sont autres que les sensations ?

Le schéma ci-dessus, limité à la représentation du monde deviendrait celui-ci :

 

 

 

 

Ce schéma permettrait d’envisager la représentation du monde par la pensée comme un langage perçu. Le signe apparaissant parmi les sensations comme Un/séparé et associé à un élément de sens, un concept.
Du signe/représentation on peut exclure toute référence formelle à un objet en vis-à-vis, par analogie avec ce que de Saussure proposait pour le langage dans sa définition première.

Pour le sujet qui la représente, les choses sont comme les paroles de la nature.

 

De Saussure montre que l’interdépendance entre l’être et la sensation est réciproque.
La sensation est ce par quoi l’être se rend dicible/exprimable/représentable par la pensée, ce par quoi la pensée prend forme, par quoi elle énonce le sens.

 

 

La question du référencement

 

Pour ce qui concerne la représentation du monde, renoncer sans recours à toute référence dans le réel n’est pas satisfaisant, sauf à se réfugier dans un pur solipsisme.
L’OdC peut là aussi contribuer à résoudre ce problème.

 

Précisons tout d’abord deux raisons pour lesquelles la forme de l’objet en vis-à-vis ne peut pas servir de référence à la représentation :

1) Entre l’objet supposé et le sens, il y a déjà et seulement les sensations qui ne sont rien de plus que le signifiant et n’ont aucun rapport formel ni avec l’objet ni avec le signifié.
-Sur ce dernier point la philosophie du langage nous apporte un précieux éclairage:
Pour ce qui concerne le langage en effet le rapport du signifiant (dans sa forme) au signifié est arbitraire. La multiplicité des langues en atteste.
On précise cependant que, dès lors que la forme du signifiant (le mot) a été fixée par convention, la persistance du rapport de ce mot au signifié est nécessaire.
Pour ce qui concerne la représentation du monde, le rapport du prédicat (la forme) à la sensation est arbitraire, mais dès lors que ce rapport a été fixé par l’évolution et l’apprentissage, la persistance du rapport de la forme au concept est nécessaire.

-Le rapport de la sensation à la forme de l’objet nous donne l’occasion de distinguer deux aspects de la pensée :

La pensée/sujet serait, dans le principe, la façon dont « je » représente ma propre pensée. Les 2 schémas ci-dessus procèdent de la pensée/sujet

La pensée/objet serait, dans le principe, la façon dont je puis représenter la pensée d’un autre, comme un objet extérieur, sans toutefois lui imposer la forme matérielle. On trouve à ce titre les modèles neurologique, logique, informatique etc…

Sans vouloir réduire la pensée/sujet à la pensée/objet, ou au fonctionnement bio physique du cerveau, on peut raisonnablement penser qu’elles participent toutes deux d’une même réalité. D’une façon ou d’une autre, derrière le rideau du sens, tel qu’il apparait à la pensée/sujet se dissimule la complexité (précisément impensable) de la pensée/objet.
L’apparente logique de la pensée/sujet ne peut faire fi de la structure chaotique de la pensée/objet.
Voir l'article "La pensée, parcours logique"

 

Ainsi, considérés sous l’angle de la pensée/objet, la sensation comme le concept d’un objet sont physiquement diffus, dans l’espace et le temps, en ce sens qu’il serait impossible de les isoler du reste de la pensée par une « coupure ».

Le signe/objet n’existe pas comme existe une chose

Le signe/objet n’est rien de précis

Jamais la sensation, ni le concept de la pensée/sujet n’ont la « forme » du signe/objet, en aucune façon.
Le phénomène physique de la sensation n’a aucune relation formelle avec le signe (avec aucun de ses possibles attributs). Qui peut croire que les signaux bioélectriques transmettent une « forme » ?
Il est même impossible d’isoler strictement le système d’inférences (a
b) qui définirait le signe/objet comme entité logique, même si l’on pouvait séparer la relation spatio-temporelle (physique) de la relation causale (purement logique).Il est donc clair que la sensation/sujet (par exemple une couleur ou un son perçus) n’a aucune relation formelle avec le réel. Se référer à l’objet en soi pour justifier la sensation de l’objet ne peut être qu’une autoréférence.
L'article "Vers la forme" présente d'autres arguments sur le sujet.

 

2) Si le concept se référait seulement à l’existant, ou au supposé existant, c'est-à-dire à la sensation, il ne serait d’aucune utilité, il n’offrirait aucun avantage existentiel au sujet et cette fonctionnalité de connaissance aurait été depuis longtemps oubliée par l’évolution. A quoi bon connaître ce qui est nécessairement passé?
Cette question ouvre justement l’interstice par lequel l’OdC propose de réduire la question du référencement.

Pour trouver à quoi référer le signe, tout en conservant l’autonomie de la représentation vis-à-vis de la forme du réel, faisons appel à Darwin et posons la question « en quoi la représentation du réel et le langage sont-ils un avantage pour le sujet »

L'article "Concept d'espace et évolution" traite spécifiquement de ce sujet dans le cas du concept d'espace.
Pour une illustration, on pourra lire "La connaissance, le pholque et sa toile"

 

La réponse proposée est un peu technique, mais elle vaut l’effort :

En préambule, voyons la complexité du signe/objet (concept comme sensation) dissimulée sous l’apparente simplicité sémantique du signe/sujet.

Pour évaluer la complexité du langage et de la pensée en tant que systèmes logiques il suffit de les figurer au niveau atomique. Combien de milliards d’inférences logiques sont nécessaires à la moindre sensation, à la simple proposition « ceci est rouge » considérée aussi bien comme élément de langage que comme représentation ?

Dans la pensée/objet rien ne permet de couper une sensation de toutes les autres, ni même des concepts. Cette interdépendance fait justement la puissance de la pensée. La pensée/objet est un chaos relationnel, de même que sa relation au réel.

Or un chaos relationnel présente des attracteurs, des entités persistant pour de vastes domaines de conditions initiales. Ces domaines de persistance sont des continuités.

L’augmentation des connaissances présente des continuités et des ruptures (La connaissance se développe selon une infinité de directions et pourtant reste un tout (individuation)).
Un parcours de Connaissance est aléatoire, néanmoins les lois des grands nombres y imposent des continuités, la persistance d’unités.

 

Voici donc que se dessine la réponse à notre question :
De par sa nature chaotique sous-jacente, l’expansion de la connaissance présente des continuités. Les sensations nouvelles ne sont pas indépendantes de l’état actuel de pensée.
Un état de sensations porte en lui des lois de probabilités singulières sur d’autres sensations. Parmi les possibles futures sensations certaines sont plus probables que d’autres du fait même de l'état de sensations actuel.
La réalité du sens est l’existence de ces lois de probabilité singulières, d’une interdépendance entre une sensation et celles qui suivront. Ces continuités rendent possibles des conjectures sur les futures connaissances à partir de la Connaissance actuelle.

Ainsi, non seulement le signe « Socrate » a pour sens la conjecture des sensations prochaines de vieux, sage, laid, généreux…mais le signe « rouge » associé par exemple au signe « pomme » a pour sens la conjecture des sensations prochaines de sucré, tendre, etc…
La raison d’être du sens est qu’il anticipe de façon efficiente les futures sensations, les futurs accroissements de la connaissance du sujet.
Ce phénomène se renforce de lui-même car l’anticipation sémantique d’une future sensation augmente les probabilités de sa réalisation.

Il est remarquable que le sens ainsi défini se réfère à la connaissance elle-même et en aucune manière à une forme en soi du réel, auquel il suffit justement d’être chaotique, de n’avoir aucune forme en réalité. Qu’importe qu’il n’y ait pas de Socrate/objet ayant en réalité les attributs formels de vieillesse, laideur, sagesse et générosité, qu’importe qu’une pomme ne soit pas rouge en réalité, ce qui importe c’est la persistance des liens de probabilité spécifiques entre un état de connaissance et les suivants.

La forme est la persistance de cet attracteur sémantique, de cette boucle de probabilités qui unit le signe à son voisinage sémantique, c’est le label (le symbole ?) de la conjecture qu’on peut en tirer. C’est la méta-connaissance du sens d’une connaissance.

On note alors que, tout comme pour le signifiant du langage, la forme(le label formel) attachée au concept est arbitraire. De même que l’image acoustique associée au concept de Socrate est arbitraire, le label formel associé au concept de rouge est arbitraire, seule compte l’efficience des conjectures, la persistance des relations singulières de probabilité, dans leur vérité individuée tout comme relative.

 

Les exemples sont nombreux  qui illustrent cette définition du référencement :

-Le signifiant que nous associons mentalement à un concept d’objet n’est il pas l’attente des sensations futures associées à l’expérience future de cet objet ?

-L’image acoustique d’un mot n’est elle pas précisément l’attente des sensations que nous procurera une voix prononçant ce mot ?

-L’orientation de la danse des abeilles est pour nous, relative à la position du soleil, alors que les abeilles n’ont en aucune manière connaissance formelle ni de l’existence du soleil, ni de sa position, ni de sa trajectoire.

-Poincaré écrit dans son livre « la science et l’hypothèse » Page 80
« Quand on dit que nous « localisons » tel objet en tel point de l’espace, Qu’est ce que cela veut dire ?

Cela signifie simplement que nous nous représentons les mouvements qu’il faut faire pour atteindre cet objet ; et qu’on ne dise pas que pour représenter ces mouvements, il faut les projeter eux-mêmes dans l’espace et que la notion d’espace doit, par conséquent, préexister.

Quand je dis que nous nous représentons ces mouvements, je veux dire seulement que nous nous représentons les sensations musculaires qui les accompagnent et qui n’ont aucun caractère géométrique et qui, par conséquent, n’impliquent nullement la préexistence de la notion d’espace »

Pour Poincaré le concept d’espace n’a pour référence ni une réalité formelle en vis-à-vis, ni une intuition a priori géométrique mais bien la conjecture de sensations futures.


Conclusion sur le référencement

Utilisant la question du référencement comme intersection entre linguistique et ontologie, nous avons identifié 2 apports réciproques :

D’une part, l’approche selon l’OdC nous à permis de définir pour le signe (image/concept) un mode de référencement indépendant de toute forme a priori d’un objet en vis-à-vis.
Ce mode référence le sens d’un signe (d’une sensation, d’une image) à la loi de probabilité qu’elle détermine sur d’autres signes (sensations, images)

D’autre part, le parallèle fait entre la relation concept/mot dans le signe langagier et le rapport concept/forme dans la représentation de l’être nous a montré que la forme associée au concept d’être est essentiellement arbitraire et que seule compte la pertinence des conjectures qu’elle rend possibles.

 

Persistance de la représentation

Les articles "in mundo non datur fatum" et "persistance" montrent que notre représentation du monde évolue bien plus probablement selon ses propres lois qu'elle ne serait déterminée par un monde en vis à vis.

Résumé de l'argument :

Les lois de la pensée/objet sont celles d’un chaos relationnel, les lois du monde telles que nous les décrivons au niveau macroscopique, sont des suites de causalités déterministes.
L'évolution d'un chaos relationnel vers des attracteurs est infiniment plus prévisible que celle d'une suite infinie de causalités vers des solutions stables.

La probabilité que les conjectures issues d’un état d’esprit (suivant les lois de la pensée/objet) se réalisent est donc infiniment plus élevée que la probabilité que se réalisent les évolutions à partir d’un état du monde selon les lois déterministes du monde.

Il s’en suit que :

Les lois du monde ne peuvent pas être distinguées des lois de la pensée.
Les formes du monde résultant de ces lois ne peuvent pas être distinguées des lois de la pensée. Elles sont sans objet.

NB: Les lois et les formes du monde naissent dans la pensée.

Lire à ce sujet "problème de conscience"

 

La question de l’instant présent.

 

La définition du signe (signifiant/signifié) contient en soi un apparent paradoxe :

Le sens du signe apparait comme Un et présent à la pensée/sujet,

Le monde entier apparait présent à la pensée/sujet

Le sujet apparait à soi-même comme Un et présent.

Et pourtant, les signes se révèlent complexes à l’instant même qu’ils apparaissent au sujet comme nous l’a montré l’exemple de Socrate.

En effet :
Au niveau de la pensée/sujet : Dans les signes langagiers, tout concept est nécessairement associé à un signifiant, or les signifiants ne peuvent s’associer sans une syntaxe qui, là encore, implique la succession (ex : pomme rouge, vingt-et-un).

Au niveau de la pensée/objet : La sensation comme le concept d’un objet sont des ensembles diffus, quelle que soit leur nature. Ils ne peuvent donc être unis en un signe sans une certaine épaisseur temporelle. Une image acoustique par exemple suppose le temps.

Comment se fait il donc que malgré ces évidences contraires le signe apparaisse Un et présent à la pensée/sujet ?

 

Pour comprendre cela il nous faut d’abord figurer comment le sens unit le diffus.
Ayant acquis que le sens est une loi de probabilité sur de futures expériences, l’exemple du référendum ci-dessous, illustre assez bien ce processus d’unification par le sens :

La population sollicitée par un référendum porte en elle une opinion diffuse dans le temps et l’espace. Aucun individu ne porte en lui le sens de l’opinion. Il n’y a pas en réalité d’état de l’opinion. Un sondage d’opinion donnera pourtant le sens unitaire d’une conjecture sur le résultat d’Un événement futur.

La relation entre le tout diffus et ses possibles développements (la loi de probabilité) unifie le sens. La réalité innombrable du signifiant est remplacée par une conjecture sur un ensemble dénombrable d’expériences futures. Il en est de même pour la pression ou la température d’un gaz.
Pour plus d'explication on pourra lire "Intelligence-émergence du collectif"

L’unité du sens d’un signe ne doit pas être cherchée dans sa réalité diffuse (informelle) mais dans la (les) conjectures qu’il autorise.

Ce principe d’unification par le sens ne transforme pas d’un coup et en bloc la pensée/objet en pensée/sujet, il faut le considérer comme un flux étendu et permanent d’unification dont la cible asymptotique sera le « je » cartésien, toujours repoussé par le principe même qui le génère.

Ce principe d’unification du « je » est à rapprocher du principe d’individuation développé par G Simondon (L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information – réedition. Millon 2005).

 

Ce principe, par lequel le signe apparait Un à la pensée/sujet, nous fait aussi entrevoir comment il lui paraît présent, plus précisément : synchrone dans l’instant présent.

 

Le signe n’est jamais synchrone en réalité (en tant qu’objet) car, étant nécessairement complexe, il ne pourrait être Un et synchrone à la fois.
Depuis Einstein
en effet, nous savons que dans le monde tel que nous le représentons, celui que le sens commun appelle encore la réalité, le concept de simultanéité d’entités séparées selon la forme d’espace est indéfini, il ne correspond à rien de réel.
Il est donc clair que parler d’un « état d’esprit » résulte de la confusion entre objet et  sujet.

La réponse est simple : Si le signe, en tant qu’objet (qui n’est jamais réellement synchrone) parait présent au sujet c’est tout simplement parce que l’instant présent du sujet est son état d’esprit.

L’instant présent n’est pas défini pour la pensée/objet mais seulement pour la pensée/sujet, pour le « je », pour cette asymptote sémantique où coïncident toutes significations.

Lorsque de Saussure décida d’exclure la forme en vis-à-vis de la définition du signe, il aurait du en exclure l’instant présent.
L’instant présent du signe, n’est pas une référence externe mais il est inclus dans son concept, dans le concept de chaque signe et c’est l’interdépendance sémantique des concepts qui cause la convergence de tous ces instants présents vers un instant présent du sujet connaissant, du « je ».
Il ne faut plus alors considérer le « je » comme situé dans un instant présent qui lui serait en vis-à-vis, mais au contraire considérer l’instant présent comme constitutif du « je », comme immanent au « je ».
L’idée d’instant présent est déjà incluse dans le « je » du Cogito.

NB : Le terme « convergence » est trompeur ici car les interdépendances entre concepts sont réciproques. L’impression de convergence n’est qu’une question de perspective. D’autre part, la convergence est purement sémantique, elle combine des lois de probabilité alors qu’au niveau de la pensée/objet rien ne change.
 

La synchronicité de la représentation langagière résulte de la nature même de ce que nous nommons l’état d’esprit du sujet : les sens des signes (considérés comme des conteneurs, des attracteurs logiques de la pensée) sont progressivement subsumés vers ce tout purement sémantique qu’est la représentation du monde par le « je ».

A chaque étape de ce regroupement sémantique, le « composé » n’est pas la combinaison de la forme des signes « composants » (ce qui serait absurde) mais la circulation des interdépendances (des lois de probabilité réciproque).

L’instant présent du « composé » ne réfère pas formellement à l’instant présent des « composants ».
Il n’y a pas un instant présent qui baignerait la fusion des composants en composé mais création, dans le composé, de son propre instant présent.

Le « je » est donc in fine le seul à connaitre son instant présent.

Il n’y a pas en réalité de synchronicité ni des signes/objets, ni de la pensée/objet mais création d’un instant présent sémantique à l’asymptote du processus d’unification/individuation de la connaissance du sujet.

 

Cette description concerne le concept formel de temps présent mais elle peut être généralisée à tous les concepts de forme.
Si elle vaut pour la subsumption de la pensée/objet par la pensée/sujet, elle peut aussi être étendue en amont, au passage de la forme supposée de l’objet en vis-à-vis à la sensation.
La
sensation n’est pas transposition de la forme du réel mais création de prédicats et le concept d’être n’est pas la fusion formelle de sensations mais création d’une entité sémantique.

Chaque étape d’unification de la connaissance du monde est création de formes nouvelles.
Ce qui justifie pleinement le refus par de Saussure de toute référence formelle du signe à l’objet en vis-à-vis.

Cela justifie aussi cette déclaration de Schopenhauer « Le monde est ma représentation », clé de voute de sa vision ontologique.

 

NB : Il est essentiel de garder à l’esprit que ce principe d’unification est sémantique et non spatio-temporel, physique ou matériel. Sans cet effort permanent pour distinguer la pensée/objet de la pensée/sujet, qui est la seule dont nous soyons certains, toute réflexion ontologique se perd dans la confusion et se trouve finalement digérée à nouveau par la théologie d’un monde en vis à vis. 

La nature purement sémantique du principe d’unification proposé par l’OdC le distingue du principe d’Individuation énoncé par G. Simondon. Tout en gardant l’idée générale selon laquelle le sujet connaissant est individuation de la connaissance, l’OdC permet une réduction considérable du nombre d’hypothèses a priori nécessaires à sa cohérence.

 

Conclusion : Grâce au mode de référencement proposé par l’OdC, à savoir : une loi de probabilité sur d’autres signes, nous avons pu montrer qu’il n’y a pas d’instant présent en réalité, ni pour le monde en vis-à-vis ni pour la pensée/objet et que le « je » de la pensée/sujet est donc in fine seul à représenter l’instant présent de sa connaissance du monde.
Le « je » est le point focal de l’unification du sens.

Réciproquement, l’analyse de la question de l’instant présent appliquée au signe langagier nous a permis de montrer que l’unification du sens crée la forme, que l’association d’une forme à un concept est arbitraire et par généralisation, que l’hypothèse d’une forme a priori de la Réalité en vis-à-vis est inutile, seule compte l’efficience de nos conjectures.

 

 

L’Anima ou le temps du sujet

 

Ayant présenté ce qu’est le temps présent du sujet essayons, toujours selon la même stratégie d’éclairage réciproque de l’OdC et de la philosophie du langage, de comprendre ce qui pousse perpétuellement d’un instant présent à l’autre, le « je » et sa représentation du monde.

 

Schopenhauer ayant montré que « le monde est représentation » et que « Toutes nos représentations sont des objets pour le sujet, et tous les objets du sujet sont nos représentations.» 

Il écrit : « Le moi qui se représente, le sujet de la connaissance ne peut jamais devenir lui-même représentation ou objet, parce que, comme corrélat nécessaire de toutes les représentations, il est leur condition même. (Il cite alors un Upanishad) « Il ne peut être vu ; il voit tout ; il ne peut être entendu ; il entend tout ; il ne peut être su, il sait tout ; il ne peut être connu ; il connaît tout. En dehors de cet être qui voit, qui sait, qui entend, qui connait, il n’existe aucun autre être. »
C’est pourquoi il n’existe pas de connaissance de la connaissance, car il faudrait pour cela que le sujet se distingue de la connaissance et puisse quand même connaitre la connaissance, ce qui est impossible. »

 

Ref  Schopenhauer  « De la quadruple racine du principe de raison suffisante » ed. Vrin §41 p 275 276

 

Stricto sensu, ces phrases juxtaposées présenteraient un paradoxe : si le monde est ce que je connais et si la connaissance ne peut se connaître elle-même, comment pourrais-je parler du monde ?

 

La résolution de ce paradoxe tient dans le fait que le sujet connaissant n’est pas le grand Soi des Upanishad, il ne connait pas « tout » mais seulement « tout ce qu’il connait » et ne voit que ce qu’il voit.

Cette finitude du sujet connaissant est en vérité le plus beau cadeau qu’ai pu lui faire la nature, puisqu’elle conditionne l’écoulement de la vie même.

Pour comprendre ceci revenons au signe :
La pensée/sujet est étroitement associée au signe/sujet (concept/ forme). Par ailleurs nous savons que le signe/objet est multiplicité. Il s’en suit que la représentation du monde par la pensée/sujet est limitée par un horizon sémantique, une limite aux contours indéfinis au-delà de laquelle elle s’épuise, tout lui paraissant déjà «nommé» par des signes.

Si la pensée/sujet est aveugle à ce « quelque chose au-delà de son horizon », elle n’en est pas moins interdépendante.
La Connaissance est possiblement un parcours infini, voir infondé, mais dont la représentation est limitée par un horizon.
Le Tout de la représentation n’est pas le Tout de la Connaissance qui n’est peut être pas le Tout du réel.

La connaissance du sujet est dans un rapport proprement inconnaissable au Tout du réel. La connaissance est incommensurable au Tout du réel.

 

Comme le dit J. Schopenhauer (et comme Goedel l’a démontré pour l’arithmétique), il est vrai qu’une connaissance, en tant que système logique fermé, ne pourrait justifier sa vérité, se représenter elle-même. Seul un système logique plus étendu, c'est-à-dire contenant d’autres propositions, le pourrait.
Mais nous savons maintenant que la connaissance n’est pas un parcours fermé, que la représentation en est seulement limitée par un horizon.

Or le sens du signe est le nom d’une « loi de probabilité sur d’autres signes », sur ce qu’en topologie on nomme le voisinage (sémantique) dont il est interdépendant.
La connaissance ne prend donc sens pour elle-même qu’au fur et à mesure qu’elle repousse son horizon, que les probabilités contenues dans chaque signe se confirment par et « dans » son voisinage. La représentation ne prend sens qu’au fur et à mesure quelle s’augmente ; parce que le sens est justement le nom des persistances qu’elle peut conjecturer au-delà de son horizon.

La Connaissance (qui est un parcours en acte, un ensemble de liens) ne devient « signe » que par sa fusion à un concept par un acte nouveau, par le fait de sa propre extension logique, car c’est dans cette extension que les conjectures deviennent persistances sémantiques, signes de soi même.

Le signe contient en soi la loi de probabilité d’actes autres mais n’existe (ne s’énonce) que par ces actes autres.

La connaissance contient en soi la loi de probabilité de persistances au-delà de son horizon, mais n’existe (ne devient représentation d’elle même) que par dévoilement de ces persistances.

Ce dévoilement est irréversible, bien que les liens d’interdépendance soient réciproques.

Pour une meilleure compréhension, on pourra lire l'article "La diffusion logique du point de vue"

 

La finitude de notre représentation du monde et de nous même d’une part, et la nécessité qu’a la connaissance de repousser son horizon pour prendre sens d’autre part, constituent le principe de l’Anima (ce qui anime la pensée/sujet), l’âme du sujet.

L’instant présent étant, par essence, lié au « je » de la pensée/sujet, le dévoilement progressif de signes nouveaux est interprété par la pensée/sujet comme un changement dans la représentation, comme un temps du monde, alors qu’il s’agit d’un changement de point de vue.

Soulignons (et G Simondon la souligné bien avant nous) que la convergence ou individuation n’est pas un processus dont le « je » serait le résultat mais qu’elle en est l’essence, le principe même. Le « je » est et sera toujours la cible asymptotique de la convergence.
Il
s’en suit que le dévoilement progressif, le changement de point de vue ne fait pas apparaître un autre « je ». Bien qu’il résulte d’une extension de lui-même le « je » se connait toujours comme « moi-même ».

Ceci fut énoncé par Sartre dans l’idée de conscience de soi non positionnelle de soi. La conscience immédiate, avant la relation sujet /objet.
 

En conclusion et pour répondre à Schopenhauer, le sujet n’est pas, pour lui-même, objet de connaissance. Néanmoins il existe à soi-même et donne sens au monde, il connait ses pensées, en repoussant perpétuellement et de façon contingente son horizon de représentation *. En tant que point de vue il est par essence le point focal de cette extension.

Ce principe est l’Anima, ce qui anime à la fois la représentation que le sujet a de lui-même et du monde, un temps subjectif qui lui parait le temps du monde.

La forme temps est consubstantielle du sens.

* On serait tenté, par facilité, de dire que le sujet ne connait que des pensées et des événements passés, mais ce serait redonner un sens objectif au mot « passé » c'est-à-dire au temps. A l’opposé de ce que nous avons voulu montrer. Les boucles sémantiques par lequel le sens existe ne « consomment » pas du temps/objet mais créent pour elle-même un instant présent.

 

La question de la vérité et de son actualité

 

Les difficultés rencontrées par les philosophes du 20ème siècle pour donner une définition satisfaisante de la notion de vérité sont parfaitement résumées par la ref 1, aussi ne reviendrons-nous pas dessus.

 

La définition de la vérité par référence au monde en vis à vis mène toujours à une auto-référence.

Dire « il est vrai que « la neige est blanche » parce que je la vois blanche » n’est pas satisfaisant

Dire « il est vrai que « la neige est blanche » parce que tous les humains la voient blanche » n’est pas plus satisfaisant.

Dire il est « il est vrai que « la neige est blanche » parce que tous les objets blancs que je montre à un patient excitent dans son cerveau la même zone que la neige » n’est pas plus satisfaisant.

 

Définir la vérité d’une proposition par la logique est aussi une voie sans issue, puisqu’elle mène à une hiérarchie de théories telle que :

La neige est blanche 

Preuve que la proposition « la neige est blanche » est vraie 

Preuve que « la proposition « la neige est blanche » est vraie » est prouvable

Sans jamais trouver de proposition première qui ne nécessiterait pas d’être prouvée
On pourra lire à ce sujet l'article "Socrate vs Socrate"

 

Le mode de référencement et la définition de l’instant présent tels que décrits dans les pages précédentes vont nous permettre de simplifier considérablement cette définition.

Nous avons proposé de définir le sens d’un signe par la loi de probabilité qu’il contient sur l’apparition d’autres signes dans son voisinage sémantique.

Le concept de « neige » par exemple, est associé aux sensations sonores (nëj), visuelle (blanc), physique (froid), émotionnelle (plaisir, c’est selon), etc…

Chacune de ces sensations contient en elle une petite probabilité des autres sensations et le concept de « neige » n’est pas autre chose que la circulation de ces probabilités réciproques.

Cette attente réciproque entre chaque sensation et les autres est le concept de neige.

Le concept de neige n’est donc pas « composé » de ces sensations, il n’est pas non plus le « contenant » de ces sensations.

La forme du concept de neige n’est pas en rapport à celles de ses constituants
Nous avons vu en particulier que le concept crée son propre instant présent.

Cette circulation des probabilités est dans le temps présent du concept, simultanée, sans durée. Il ne s’agit donc plus ni de probabilités ni d’attentes, ni de conjectures mais d’une vérité qui se détermine elle-même, d’une boucle logique, sémantique.

Elle n’est pas fondée sur la vérité de ses « constituants » sémantiques mais sur la réciprocité de leurs interdépendances.
Tout concept est vrai pour soi même tout autant qu’il est présent à lui-même.
Dans cette vérité, la vérité des sensations, des signes, des concepts qu’il unit est sans importance, seule compte leur interdépendance.

Cette construction de la vérité se poursuit tout au long de l’union des concepts par leurs interdépendances, jusqu’à la vérité éternellement présente du « je » et de sa représentation du monde.

 

Conclusion sur la vérité

 

Le réel n’a pas de forme, pas de vérité.
La vérité de tout concept est dans la circulation en boucle des interdépendances qui le constitue, sans rapport à la vérité des concepts qu’il unit.
La vérité du « je », le cogito, est la vérité asymptote suivant ce principe d’union.

 

La logique comme pensée et comme représentation

 

Dans son cours, le Pr Vernant résume parfaitement les efforts entrepris par nombre de philosophes des sciences, de Frege et Russel à nos jours, pour « développer une logique philosophique qui introduise en philosophie des méthodes scientifiques » permettant  « d’en définir (rigoureusement) les concepts et de maitriser la rationalité des inférences »

La phrase suivante de Carnap « la philosophie doit s’appuyer sur la logique pour déterminer la syntaxe de la science et de tout discours rationnel »

Le document du Pr Vernant est si clair qu’on ne peut que recommander sa lecture directe.

 

Dans les lignes qui suivent nous essaierons de montrer, à partir des conclusions établies aux paragraphes précédents, que l’usage de la logique, malgré tout son intérêt pour le philosophe, n’est pas une condition suffisante pour donner un sens rigoureux à un langage qui souhaite décrire le monde ou exprimer la pensée.

 

Pour cela nous saisirons quelques concepts décrits en ref 1 :

 

-La logique formelle est extensionnelle, elle porte sur des objets (les propositions vues comme des objets) et veut faire abstraction de l’intension (i.e. la signification des propositions, la référence)
NB : Le livre « Introduction à la philosophie de la logique » du Pr D Vernant (ed. Mardaga), montre que cette affirmation doit être nuancée sans toutefois lui ôter sa pertinence dans le contexte de cet article, en ce sens que la logique n’est rendue formellement juste que par le postulat que ses objets sont « fondés ».

-Les propositions doivent être des formules bien formées, c'est-à-dire engendrables par la syntaxe logique.

-On note des « propositions atomiques », bien formées par définition

-Les objets sont classés en une hiérarchie de domaines de signifiance ou types, partant d’un type 0 contenant les individus puis un niveau 1 contenant les classes d’individus etc..
-Les propositions sont elles aussi hiérarchisées en niveaux sémantiques, un niveau supérieur peut seul référer à une totalité de propositions du niveau inférieur.

-Le langage lui-même est classé en niveaux, partant du langage-objet (ex : il neige) puis le méta langage (la proposition « il neige » est vraie) puis un méta métalangage (la proposition « la proposition « il neige » est vraie » relève de la sémantique.

-Dans la préface rédigée pour le Tractatus de Wittgenstein, Russel écrit « Tout langage …a une structure au sujet de laquelle rien ne peut être dit dans le langage, mais il peut y avoir un autre langage parlant du premier, ayant lui-même une nouvelle structure, et à cette hiérarchie de langage il peut ne pas y avoir de limite » p 26-7

 

Tous ces concepts ont en commun de concerner la relation du plus simple au plus complexe, d’un individu à une totalité, d’un niveau de généralité au niveau supérieur.
Chaque fois ces hiérarchies présument « vers le haut » un infini potentiel, mais jamais elles ne mettent en doute l’existence d’un premier niveau.

Dire qu’une proposition est « engendrable » postule pourtant qu’elle peut être engendrée en un nombre fini d’inférences, faute de quoi, étant improuvable, cette affirmation serait dénuée de signification.

Le Wittgenstein du Tractatus, ayant perçu cette difficulté écrit : « « ceci » est la seule expression qui ai du sens par elle-même puisqu’elle se définit comme elle s’énonce » pensant peut être ainsi que la référence directe à l’objet du monde permettrait de fournir un fondement aux constructions logiques relatives au réel.

Wittgenstein se trompait alors car « ceci » postule que « ceci existe comme tel », que je peux remplacer « tout ce qui constitue ceci » par « ceci ». Ce postulat est un méta jugement. D’ailleurs, Wittgenstein reviendra ensuite sur ce point pour énoncer: (recueil posthume « de la certitude » ed. Gallimard)

105 Toute vérification de ce qu’on admet comme vrai, toute confirmation ou infirmation prennent déjà place à l’intérieur d’un système. Et assurément ce système n’est pas un point de départ plus ou moins arbitraire ou douteux pour nos arguments ; au contraire il appartient à l’essence de ce que nous appelons un argument. Le système n’est pas tant le point de départ des arguments que leur milieu vital

142 Ce ne sont pas des axiomes isolés qui me paraissent évidents, mais un système dans lequel conséquences et prémisses s’accordent un appui mutuel.

225 Ce à quoi je m’en tiens fermement ce n’est pas une proposition mais un nid de propositions.

 

Les Logiciens du langage construisent sur du sable car il n’y a pas d’objet/d’être qui ne soit, par nécessité, le résultat d’un méta jugement « ceci existe » ; car il n’y a pas d’être premier, ni dans le langage, ni dans la pensée, ni dans la réalité même.
Dans une proposition logique les quanteurs existentiel « il existe
» et universel « quel que soit », supposent un domaine de quantification qui serait lui-même un ensemble d’entités (des êtres) dont l’existence en tant qu’entité serait admise.

Or, si on ne peut pas prouver l’inexistence de l’être, toutes les expériences physiques et de pensée tendant à mettre en évidence une « substance première » du monde, de la pensée ou du langage ont échoué.
Pour en donner une formulation « logicienne », nous dirons que le monde est un système d’équations logiques, insoluble en son tout. Aucune des propositions logiques qui peuvent apparaître n’y est calculable, prouvable en remontant jusqu’à de supposées propositions premières, atomiques.

Cette incalculabilité du signe n’est pas uniquement liée à nos propres limitations, les paragraphes précédents montrent que le monde est essentiellement incalculable, sans fondement, sans proposition première.
Note: L'article "L'axiome de fondation" présente la même démonstration sur le registre de la théorie des ensembles.

L'article "Leibnitz et le prédicat contingent" illustre ceci à partir du concept étudié par Leibnitz.

L’absence de fondement du signe et donc de la pensée (objet) ruine par avance la rigueur syntaxique de la logique qu’on voudrait leur appliquer, car sans fondement on ne peut pas établir rigoureusement ce qu’est « ceci », ni que « ceci » = « ceci ».
Ainsi {a} doit être remplacé par (tout ce qu’est {a}) et l’identité a=b remplacée par (tout ce qu’est {a} possède un équivalent dans {b}et inversement ) en une comparaison infinie donc irréalisable. De même pour exprimer que a est disjoint de b
Comment une formule telle que a→b pourrait elle être qualifiée de « bien formée » dès lors qu’on l’écrit {a}→{b}appliquée à des sensations{a}et{b}telles que nous les avons analysées précédemment.

L'inférence → dans a→b prend un tout autre sens dès lors qu’on l’écrit (tout ce qu’est {a}) →(tout ce qu’est {b}).

 

Leibnitz a développé un concept fort utile à la compréhension de ce problème : le prédicat contingent à l’infini.
L’expression qui suit donne de ce concept mathématique une définition simple, amusante et pourtant pertinente: « Si tu joues indéfiniment à la roulette, quel que soit ton magot initial, tu es ruiné »

On remarque que la valeur de vérité du prédicat n’est pas définie par la condition initiale mais par la règle du jeu et que bien que contingente, cette valeur de vérité est incalculable, sauf à considérer un infini actuel.
Il suffit maintenant de remplacer la « conséquence » par « la cause » (cela est logiquement licite si les inférences sont réciproques) pour comprendre que lorsque nous attribuons la sensation (le signe, le prédicat), dans sa multiplicité, à une cause origine (l’objet, sa qualité) nous faisons le parcours logique symétrique de celui qui définit le prédicat contingent à l’infini.

La réalité à laquelle référer une sensation est donc incalculable et la proposition « objet copule prédicat » qui l’exprime ne peut constituer une « formule bien formée ».

 

Mieux encore, la théorie des systèmes dynamiques met en œuvre des « applications » réversibles dans leur principe. On peut, en inversant le parcours des inférences, montrer par symétrie que la sensation (considérée comme condition finale), peut être reliée à des singularités de parcours, à des attracteurs/causes, dont l’existence n’est due qu’à la condition finale (la sensation/objet logique) et aux règles d’inférence (la syntaxe logique) et certainement pas à la réalité d’une « cause initiale »

 

C’est pourquoi la seule référence possible de toute représentation est le sujet connaissant et l’affirmation de son existence (le cogito, proposition pragmatique, formule bien formée ou non, prouvable ou non).
Tout calcul à rebours des inférences logiques menant à ma pensée/sujet s’arrêtera sur un horizon de Connaissance au-delà duquel mon esprit admet comme «calculés» des propositions, objets et prédicats dont la vérité n’est pourtant que singularités du parcours logique.

Tout prédicat de la pensée ou de la représentation du monde contiendra toujours actuellement une part d’indétermination, non comme une imperfection, mais comme une immanence du Logos lui même.
Au delà de cette part d'indétermination, l'article "État d'esprit" montre qu'il est fondamentalement impossible de dupliquer, de quelque façon que ce soit, un état d'esprit en tant qu'instant présent actuel de la pensée du sujet.

 

Seules les mathématiques ont la possibilité de déclarer (mais c’est alors un postulat) « il y a quelque chose de Un ».

Dire que la logique est extensionnelle c’est postuler son fondement.
Occulter l’intentionnalité des propositions, où les considérer comme a priori prouvables est une décision métalogique inapplicable au langage comme à la description du réel par la pensée.

 

Conclusion du chapitre

Pour fonder sa construction syntaxique, la logique postule la possibilité de propositions atomiques comme premier niveau de sa construction.
La philosophie du langage, l’ontologie, sauf à se renier, n’ont pas cette possibilité.
Nous avons montré que le sujet est, par essence, la seule référence possible de toute pensée et de toute représentation de monde.
Nous avons aussi montré que, le rapport de la connaissance au réel étant inconnaissable, aucune relation d’équivalence ne peut être établie, entre des entités de la pensée/sujet et du réel ou même de la pensée/objet.
La pensée, la connaissance, la représentation ne peuvent donc être fondées.
Le caractère essentiellement chaotique de la pensée, sa sensibilité aux conditions initiales et son absence de fondement, rendent improuvable sa modélisation par tout système fondé (logique, arithmétique, digital…).

 

 

Sur le thème: la théorie des ensembles permet elle de décrire la réalité ?  Lire l'article "Kant vs Cantor, la rupture ?"

Lire aussi w-pauli-espace-temps-et-causalite-dans-la-physique-moderne

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog Philosophie de jean-louis Boucon
  • : Discussion philosophique et métaphysique sur la relation entre la pensée et la représentation du monde. Réflexions sur une ontologie des corrélations.
  • Contact

ACHETER LE LIVRE